GROUNDHOG DAY (1993)

UN JOUR SANS FIN (1993) – de Harold Ramis, avec Bill Murray, Andie MacDowell, Chris Elliott,...



Vous vous demandez peut-être ce qu'un film estampillé « comédie » vient faire sur un site sensé traiter de science-fiction. Eh bien, si le fait que Bill Murray en soit la star ne vous suffit pas comme le prétendait Wes Anderson avec « La Vie Aquatique », laissez-moi vous résumer l'idée principale du film :

Phil Connors, un présentateur météo vaniteux, doit se rendre dans une une petite localité pour un reportage sur le « jour de la marmotte », événement traditionnel phare de la région où la mascotte de la ville sort de son hibernation et « prédit » si l'hiver durera encore. L'affaire bouclée, un blizzard l'oblige à rester une nuit de plus dans cette ville qu'il méprise et le lendemain, il a la surprise de se réveiller le même jour que la veille, « le jour de la marmotte » phénomène qui semble se répéter indéfiniment.



Tout amateur de science-fiction aura compris de quel phénomène bien connu on parle ici mais pour ceux qui planchent encore, mettons-ça autrement : c'est l'histoire d'un homme qui se retrouve bloqué dans une boucle spatio-temporelle qui l'amène à remonter le temps de 24h pour revivre le même jour encore et encore.

Bien entendu, le cadre dans lequel notre héros se trouve ne l'amène guère à vivre une aventure épique, le film se veut familial et nous somme là bien face à une comédie très efficace mais simple malgré tout. Phil sera donc amené à se remettre en question, à devenir moins fier et égoïste pour s'intéresser plus aux gens qui l'entourent et à tenter de faire le bonheur de cette petite ville et de ses habitants. Bien sûr, Phil est humain et dès qu'il aura compris ce qui lui arrive, il en profitera au début pour faire tout ce qui lui plaît et lui passe par la tête. Il aura aussi l'occasion tout au long du film de se voir exaucer le souhait qu'on a tous eu un jour : celui de pouvoir reprendre à l'infini la manière d'approcher la femme qu'il désire jusqu'à trouver la conduite et les mots qu'il faut (une fois encore, une belle représentation du romantisme/érotisme féminin ; à croire que tous les scénaristes d'Hollywood sont d'anciens lecteurs de Weininger).



La nature et l'origine du phénomène qui amène Phil à revivre la même journée ne nous sont jamais expliqués. Est-ce la marmotte, qui détient des pouvoirs magiques et qui veut lui donner une leçon pour s'être moqué d'elle et de sa ville ? Est-ce Dieu ? Est-ce le serveur du bar, qui a un de ces regard plus que suspect genre « je sait tout » ? On ne le sait pas et c'est tant mieux si c'est juste un prétexte pour voir 1h30 de Bill Murray et ses mimiques et vannes toutes bonnes à resservir pour briller en société.

On retrouve tous les ingrédients d'une comédie américaine classique des années 90 (mais avec les enfants en moins : un vrai plus) : une ville sous la neige, les petites vies heureuses de ses habitants, un héros que la vie va ramener à la vertu, l'amour, des clichés, une bande originale affreuse et démodée, l'absence de francophobie période pré-Deuxième Guerre du Golfe oblige (une forte francophilie d'ailleurs : si vous voulez entendre Bill Murray réciter de la poésie française...). Le film a du goût et il est très bon au point d'avoir un statut de film culte, de classique, fait rare pour une comédie mais pas pour Harold Ramis apparemment.

Si vous n'êtes pas convaincus que ce film ait sa place dans la grande et noble famille de la Science-Fiction, faisons comme Eddard Stark et jetons un coup d'œil sur ses caractéristiques physiques pour révéler ses affiliations et faire jaillir la vérité.


Oui, il me semblait bien...

Watchmen (2009)

Réalisé par Zack Snyder, avec Jackie Earle Haley, Patrick Wilson, Billy Crudup...




Dans cette rubrique “Super-Héros”, j’avais vraiment hâte de consacrer un premier article à une adaptation d’Alan Moore. Watchmen, sorti en 2009, est, au même titre que V pour Vendetta, une bouffée d’oxygène incroyable pour ce genre de films. Ca fait bien 10 ans que chaque année sort un nouveau volet de X-Men, Spiderman, Thor, Les 4 fantastiques ou autre Iron-Man... Tout en essayant de ne pas tomber dans de vaines généralités, je dirais que les scénarios, les acteurs et les effets spéciaux se ressemblent tous un peu et on se lasse bien vite quand on y plonge d’un coup. Bien sûr on pourrait dire que Frank Miller procure le même effet salvateur. Mais je trouve personnellement Sin City bien plus « m’as-tu-vu » dans son esthétique et son casting.
 Heureusement, Alan Moore, depuis l’adaptation un peu cruche mais très plaisante de ses gentlemens extraordinaires, vient mettre un peu de son lyrisme poétique, bercé d’un fatalisme troublant là-dedans. Inutile de dire que Watchmen n’échappe pas à la règle.



Nous sommes en 1985. Les années glorieuses des super-héros sont désormais révolus. La guerre froide est à son apogée, et Nixon attaque son troisième mandat. La ville est noire, criminelle et un certain chaos semble se répandre dans les ruelles sombres. Je n’en dirai pas plus sur le cadre, il est indispensable de le voir pour l’assimiler. Tenter de le décrire serait un échec. D’une part parce que je ne pourrais pas retranscrire ce qui transpire du film. D’autre part, parce que l’effet de surprise serait quand même gâcher.

Les Watchmen sont une assemblée de super-héros qui sévit au cours de la guerre du Viet-Nam. Il est maintenant question de savoir ce qu’ils deviennent. C’est là le brio d’Alan Moore. Les Stan Lee, Bob Kane et consorts ont créé de superbes héros, mais ils ont, pour la plupart, oublié de les faire mourir. Se pose alors la question de savoir ce qu’ils deviendront, en vieillissant. Mais aussi, quel est l’héritage qu’ils laisseront. Voilà, à mon avis, la véritable question que pose ce film, celle de l’héritage.

La photographie est superbe, tant le désir constant de rester proche de la BD est fort. Les plans sont symétriques, en plongée. En gros, tout est d’une esthétique très travaillée et, par moments, on aperçoit clairement les vignettes se dessiner à l’écran. Je suis convaincu que la plupart des fans absolus du graphic novel trouveront beaucoup à redire de cette version hollywoodienne, mais je viens en paix. Je ne regarde que le film et, même si c’est dù à 95% à la qualité du scénario dont il s’inspire, ce film est à mes yeux une grande réussite.
 

Bien sûr, les Watchmen sont des héros torturés. On ne les appelle héros que parce que c’est le nom qu’on donne généralement aux personnages avec des pouvoirs et un déguisement. En fait, ce sont un peu des salauds. 

On suit globalement l’avancée du scénario par le biais du journal de Rorschach, héros dérangé, traumatisé par le cadavre d’une fillette dévoré par des chiens sous ses yeux. L’expression qui le décrirait le mieux serait peut-être celle d’un justicier cruel. Oui il tue, il n’hésite pas à massacrer même, mais c’est pour réparer une injustice qu’il abhorre. 
Il y a le Dr Manhattan, victime d’un « accident électrique », son corps s’est entièrement désuni, pour finalement parvenir à se recomposer avec des particules électriques. Cela lui donne des pouvoirs extrêmes, le temps n’est plus pour lui qu’une simple ligne sur laquelle il se déplace. Il connaît donc le futur. Il peut aussi se déplacer à sa guise dans l’espace et être à plusieurs endroits en même temps. En fait, il perd contact avec toutes les limites qui définissent l’homme et ça l’amène à renoncer peu à peu à son humanité.
Il y a également quelques personnages un peu plus communs, parce qu’il faut quand même que l’on puisse s’identifier. Ce sont d’anciens héros qui tentent aujourd’hui simplement de mener une vie normale. C’est à travers eux que l’on suit le film, en dehors du journal de Rorschach. 



Enfin, il y a Adrian Veidt, qui, grosso modo, s’est reconverti dans la finance et qui est à la tête d’une grosse entreprise. Comme le prouve le virage qu’il a donné à sa vie, Adrian « Ozymandias » Veidt est avide d’un certain profit. Là où les autres se sont détachés du commun des mortels, ou tentent tant bien que mal de s’en rapprocher, lui, « le plus intelligent des hommes », a su observer cette race humaine et s’y adapter de la façon qui lui serait la plus profitable. La morale que va tirer ce film est toute contraire à ce qu’on peut attendre d’un film de super-héros « made in USA ». Au lieu de punir et de pointer du doigt ce salaud qui veut exploiter les hommes, on va lui offrir tout simplement la survie de l’humanité...
Et, quand on y réfléchit, c’est plein de bon sens, parce que c’est le seul qui a tenu compte de ces hommes, qui n’a pas tenté d’y échapper ou de s’y noyer à défaut de mieux.
C’est lui qui a « fait avec » et qui les a pris en compte. C'est donc à lui qui revient naturellement la tâche de nous sauver.



Mad Max (1979)



Réalisé par George Miller, avec Mel Gibson, Joanne Samuel, Steve Bisley...



Sorti en 1979, Mad Max semble aujourd'hui s'être imposé, au tournant de la décennie, comme une influence majeure de la plupart des films classiques des années 80. En effet, on retrouve son univers d'anarchie livrée à elle-même où les motards sont les rois de l'autoroute et où la vengeance devient un des seuls moyen de se faire justice dans quelques-uns des chefs-d'oeuvre de John Carpenter, par exemple, pour ne citer que lui.

Le film se déroule dans « quelques années ». Le monde a des allures post-apocaplyptiques. Pas vraiment de renseignements sur le lieu où nous sommes. Les seuls indications géographiques présentées sont universelles et très révélatrices de l’ambiance qui nous attend : Anarchy Road, Wee Jerusalem. Mis à part un accent british présent tout au long du film, ainsi que quelques expressions typiques d’outre-Manche (« fella », « mate ») et la conduite à droite, pas de références géographiques.

Pour ce qui est des personnages, nous avons d’un côté les  « nomad bikers » qui se déplacent en bande et répandent le chaos. De l’autre, la Main Force Patrol, qui tente de faire régner un semblant de justice. Leur QG se trouve dans un grand bâtiment désaffecté dont l’entrée arbore un grandiloquent « Halls of Justice ».



Parce que ce film, au même titre que son scénario très inspiré, c’est aussi une esthétique, la création et l’exposition d’un univers déterminé. Une interprétation du monde tel qu’il pourrait devenir si les choses tournaient mal. En fait, par ce biais, il remplit tout simplement ce qui pour moi définit un grand film de science-fiction. Une anticiptaion réfléchie et présentée dans son ensemble, qui se suffit à elle-même, pour introduire l’interprétation du futur, tel que le réalisateur l’envisage, potentiellement.

Le monde est dégénéré. Ses habitants sont avides de destruction, de carnage, certains sont attardés mentaux. Tout ce qui dénote une dégénérescence en fait. Les seuls personnages normaux ne s’en tireront pas. A l’image de ce jeune couple qui se réveille dans la ville où se trouve le cercueil du Nightrider, à l’image de Jessie et de son fils. A l’image aussi de Jimmy Goose, bien trop idéaliste dans sa notion de justice.
A travers les radios des voitures, on semble pourtant déduire qu’une autorité très forte est en place. Cela se traduit par l’instauration de règles extrêmes : couvre-feu, interdiction d’utiliser des mots trop forts... En attendant, ce qui défile sous nos yeux laisse plutôt l’impression que ce monde-là est livré à lui-même, et, par association, aux plus forts et aux plus sauvages.
 
Là où passent les bikers, ils détruisent tout. Toute forme de vie et de raison. La population est enfermée dans un cercle vicieux puisqu’une fois qu’ils ont fini, perosnne n’ose porter plainte. Même si on les arrête, on ne peut pas les condamner et on est obligés de les relâcher. Concrètement, le début du film est fait pour nous montrer qu’ils n’ont aucune pitié et sont prêts à tout pour se payer une petite partie de rigolade. Le viol, la torture, les meurtres, voilà tout ce que dénotent les gros plans sur leurs visages meurtris et leurs rires gras, sous leur barbe d’où semble pulluler toute la poisse qui a envahi l’atmosphère.



Voilà donc dans quel milieu nous est présenté, petit à petit, notre grand héros : Mad Max. Je dis « petit à petit » parce que le début du film ne nous laisse seulement apercevoir, à travers une radio ou par le biais de sa conduite de bolide, ce qu’il dégage. On comprend très vite que c’est lui, le héros. C’est lui qui attrape les salauds quand tous les autres ont abandonné. Mais on comprend aussi très vite que ce héros n’est pas un super-héros, il a sa part d’ombre, et on n’est pas à l’abri qu’il nous fasse regretter de l’admirer trop vite. Pour dire ça de façon un peu cliché : « Il est tapis dans l’ombre, et il attend son heure. »

Puis, petit à petit là encore, il laisse tomber ses défenses face à la caméra. Tout d’abord quand son pote Jimmy Goose se fait cramer vivant par les bikers. La vue de son corps le secoue et il démissionne. Pourquoi ? Parce qu’il a peur, tout simplement. On le découvre aussi confronté à sa femme, Jessie, avec qui il tente d’élever son fils normalement, malgré la terreur qui règne un peu partout autour d’eux. Ils sont alongés dans l’herbe et il lui dit qu’il aimerait trouver les mots pour qu’elle sache tout ce qu’elle est pour lui. 



Comme on s’en doute un peu, la scène suivante confronte Jessie aux bikers. Ils viennent la trouver et lui cherchent des noises. Elle parvient finalement à s’échapper, coupant la main de l’un d’eux au cours de sa fuite. Les voilà donc lancés à la poursuite de la famille de Max, bien déterminés à venger et à récupérer la main de leur pote. Quelques péripéties plus tard, ils les retrouvent et les tuent. C’est plus qu’il n’en fallait pour que Max sombre dans une folie meurtrière et ne devienne Mad Max. Dès lors, il va traquer les bikers sans relâche jusqu’à ce que ne soient vengés son ami et sa famille. Tout le film est fait pour que nous soit transmise la rage qui l’envahit quand il les retrouve un par un, et pour que, de cette façon, on devienne un partisan de sa cause. Car, comme le déplorait son chef « Fifi », ce monde-là manque de héros, et l’on est les premiers à cautionner le fait que Max va prendre ses responsabilités et devenir ce héros.





Pour conclure, ce premier volet de la saga Mad Max est en fait une sorte de naissance de Mad Max, presque un préquel. C’est un des éléments les plus forts de la saga : elle a su prendre le temps de nous présenter ses personnages (son personnage, pourrait-on dire), et elle nous a laissé le temps de les adopter. C’est ce qui fait qu’on s’y attache autant et que c’est un des héros dont on se sent, aujourd’hui encore, le plus proche.

BIG FISH (2003)

Réalisé par Tim Burton, avec Ewan McGregor, Albert Finney, Steve Buscemi, Danny DeVito...





A l’exception de Mars Attack!, les années 90 ont été pour Tim Burton une décennie quasi-parfaite. Superbement ouverte par Edward aux mains d’argent en 1990 et brillament conclue par Sleepy Hollow en 1999. 

Quand il s’agit d’aborder les années 2000, en revanche, on reste (de plus en plus) sur notre faim. Pour le dire clairement, à l’exception de Big Fish, on y trouve exclusivement des ratés (La Planète des Singes, Sweeney Todd, Alice aux pays des merveilles) et des films « bof-bof » seulement sauvés par la réutilisation de formules qui avaient mouche par le passé (Charlie et la Chocolaterie et Les noces funèbres).

Mais nous sommes ici pour parler de Big Fish, et ça tombe bien puisque c’est un bon film. C’est un film qui reprend à peu près tout ce qui a fait les grands films de Tim Burton. C’est-à-dire que la plupart du temps, à la manière des contes que l’on raconte aux enfants, il évoque les choses sans véritablement les dire, mais d’une façon si appuyée qu’elles nous touchent. On trouve d’ailleurs ici quelques personnages communs à la plupart de ces contes : une sorcière, un géant.
Et puis, il y a cette ville de Spectre. Cette ville où les habitants vivent heureux dans un grand champ d’herbe, cette ville où l’on sait à l’avance à quelle heure vous allez arriver, cette ville dont les habitants sont toujours encerclés d’une lumière divine, cette ville dont la perception change selon l’âge auquel on y est confronté. Cette ville, évidemment, c’est le paradis. Ou peut-être que c’est l’enfer. En tout cas, ça ressemble à la mort.






Tout le film part d’une scène bien précise de la vie d’Edward. Tout jeune garçon, il a choisi de voir dans l’oeil de la sorcière la façon dont il allait mourir. A partir de là, libre à lui de faire tout ce qu’il souhaite accomplir dans le temps qui lui est imparti. Il sait que tout ce qu’il fera (la guerre en Corée, la traversée de la forêt « hantée »...) ne causera pas sa perte. En quelque sorte, il adopte et applique l’expression « Ce qui ne tue pas rend plus fort », tout en connaissant la seule chose qui le tuera. Par cet intermédiaire, Tim Burton nous livre là sa propre interprétation du destin. 


"A man tells so many stories, that he becomes the stories. They live on after him, and in that way he becomes immortal."


Le film cherche à poser la question de la réalité, et plus indirectement de la religion. Est-ce que la foi peut rendre des choses incroyables vraies ? La foi d’Edward Bloom, c’est l’aventure. Cette phrase sonne comme une accroche publicitaire, mais elle est pourtant bien vraie. A l’en croire, Edward Bloom a passé toute sa vie à chercher à repousser ses limites et ne s’est jamais vraiment décidé à se poser dans une vie tranquille. A partir du moment où il a décidé de quitter son petit village enfermé, il a vécu mille aventures parmi les personnages les plus extravagants.



Le film enchaîne les passages de narration, qui suivent les aventures d’Edward à travers le monde, les guerres et les enchantements qu’il a traversés et le moment présent. Il est au seuil de sa vie, et son fils, qui ne l’a jamais vraiment pris au sérieux et à qui il n’a pas adressé la parole depuis plusieurs années, est là. Sa belle-fille est sous le charme de ses talents de conteur, mais son fils bougonne. Car être un aventurier engendre des sacrifices inévitables. Et, dans le cas d’Edward Bloom, c’est sa famille qu’il a sacrifié. Il doit la fidélité de sa femme à l’émerveillement qu’elle accorde à ses histoires. Mais sa relation avec son fils est inexistante, et ce dernier ne croit pas un mot à ses histoires. 

Or, c’est à travers les yeux de ce fils, et de sa femme (campée par la grosse cruche Marion Cotillard), que nous suivons l’histoire, qui est ainsi toujours empreinte de septicisme. C’est de là d’après moi que viennent toutes les maladresses du film. Elles ne sont pas nombreuses mais elles sont présentes. A l’image de William Bloom, nous sommes toujours en train de nous poser la question de savoir si ce que raconte Edward est véridique. Le spectateur est obligé de remettre en question tout ce qui se passe sous ses yeux. Bien sûr, le talent de Tim Burton explique que, par moment, on baisse la garde et on se laisse emporter dans une des aventures d’Edward. Mais jamais trop longtemps, dès qu’on commence à prendre ses marques et à faire confiance à Edward, en commençant même à bien l’aimer, le présent revient. Edward est mourant, et Will sceptique. Ce qui n’est pas une mauvaise chose, en soi. Mais le problème, c’est le revirement de situation final, qui, à mon goût, enlève beaucoup à la féerie de l’histoire. 


Dans l’une des dernières scènes, Will se laisse prendre au jeu d’Edward, et tombe dans ce monde magique. Il raconte à son père comment il va mourir et comment tous ses personnages auxquels il n’a jamais cru viendront le saluer une dernière fois, lui qui a marqué tant de destins. Secoué et affaibli par l’état de son père qui meurt sous ses yeux, il s’abandonne à la version des faits qu’il a toujours boudé, à laquelle il ne s’est jamais ouvert. Et c’est ainsi que, quelques jours plus tard, pour l’enterrement, il voit véritablement débarquer sous ses yeux ces chanteuses siamoises, poète maudit (Steve Buscemi), Monsieur Loyal (Danny DeVito) et autre géant. Que doit-on déduire de ça ? Qu’Edward n’a jamais menti ? Ou que Will est maintenant lui aussi embarqué dans ce monde auquel il faut croire pour le voir ? Quelle que soit la réponse, elle est, comme souvent au cours de cette dernière décennie, bien réductrice et vient rendre ce final un peu amer...




Edward aux Mains d'Argent (1990)



Réalisé par Tim Burton, avec Johnny Depp, Winona Ryder, Diane Wiest...



Cette histoire est un conte. C’est un enchantement. Je préfère commencer comme ça. Tous ceux qui trouvent Tim Burton cliché, plan-plan et niais ne seront pas d’accord avec la suite. Mais si l’on passe sur les égarements et répétitions de ces dernières années, sa fimographie revêt quelques chefs-d’oeuvre absolus et il est, pour moi, l’un des meilleurs réalisateurs des années 90, devant même l’adulé-de-tous Tarantino.

Tim Burton est un conteur, qui prend ici le prétexte de nous conter l'histoire de la neige. Profondément touché par les histoires de bêtes humaines des années anciennes, par leur humanité, par leur rejet injuste, il s'applique en fait à nous livrer sa propre version de la légende cent fois répétée de La Belle et le Bête jusqu’au Freaks de Tod Browning. Son monstre à lui possède une déformation, une « monstruosité » risible, il ne fait peur à personne ; ce n’est pas un loup-garou, ni un surhomme à la force effrayante.

Plus que ça, au contraire du méchant monstre manichéen, Edward est un gentil monstre manichéen. Sa Bonté est inhumaine, elle est artificielle. Il a acquis une humanité artificielle, c’est son créateur qui lui apprenait ce qu’il fallait faire et ne pas faire. Ainsi, à la question pleine d’une évidence niaise : « si tu trouves un porte-feuille par terre l’utilises-tu pr faire plaisir à tes amis ou vas-tu le rendre à la police ? » Il répond avec douceur qu’il voudrait l’offrir à ces amis. Cette essence même de la bonté, que Johnny Depp, ici dans un de ses meilleurs rôles, parvient à transmettre par ses regards (à la fois candides et profonds), n’est pas humaine (Edward est une création artificielle) et n’a pas été conditionnée par un environnement humain de masse.



On peut voir ce film comme la quête d’apprentissage du Bien et du Mal. Edward a grandi loin de tout et c’est une « machine », donc aucune de ces notions ne lui a été instaurée. Peu à peu, au sein de cette communauté, il apprendra, à ses dépends, ce qu’il est autorisé à faire et quels sont ses devoirs s’il veut devenir quelqu’un de Bon.

Le cadre est une petite ville où tout est programmé : les maris arrivent à la même heure et chaque maison est identique. C’est idéal pour faciliter l’effet de masse qui procurera à Edward plusieurs rôles et statuts en un temps record : tantôt phénomène de foire, puis coqueluche de la ville, et enfin, en un seul acte : bête monstrueuse qu’il faut chasser. Cette succession montrera à Edward que ces notions de Bon et de Mauvais sont bien éphémères. Tellement éphèmères qu’il y sera étanche. C’est ainsi qu’à la fin du film, il tuera Jim, toujours persuadé qu’il vient de commettre une bonne chose. Voilà la représentation symbolique de l’échec de la bourgade local à lui instaurer les valeurs de la vie en communauté. Une fois que cette ville aura compris que son cas est un échec, il se fera d’ailleurs chasser dans son chateau par une voiture de police (symbole ultime de l’autorité qui décrète ce qui est Bien et ce qui est Mal).



La malédiction d’Edward, qui vient en conséquence de sa physionomie, est qu’il détruit tout ce qu’il touche et donc tous ceux qu’il aime. Le dernier souvenir auquel il pense dans les bras de Kim est d’ailleurs celui du moment oû il a pris ses mains, celles qui lui étaient destinées, et les a détruites, de rage que son « père » meurt sous ses yeux. Merveilleux avec les choses de la nature : plantes, glace mais désastreux avec les humains, il les « abîme ». Ainsi, c’est toujours avec ce regard touchant de frustration qu’il regarde Kim. Et quand à la fin du film, elle lui demande « Hold me », il répond : « I can’t », d’un air plein de retenue et de résignation.
Edward se croit incapable d’aimer, et donc de connaître l’amour. Pourtant, à l’origine même de sa création, Vincent Price l’imagine avec un coeur. Tim Burton est bien le seul artiste aujourd’hui à ne pas voir les évolutions technologiques comme une chose maléfique ou les annonceurs d’un futur sombre. Non, pour lui, grâce aux machines qui travaillent à la chaîne, on peut fabriquer des cookies. C’est ainsi que le créateur d’Edward a l’idée de lui donner vie, en superposant un cookie en forme de coeur sur une machine. Quelle utopie ! Créer une machine capable d’aimer. Quand Kim lui dit, à la fin, « I Love You », il peut retourner en paix vivre dans son chateau plein de solitude, là seul où il peut vraiment exister. Sa véritable tâche est accomplie, et son séjour initiatique a atteint un but. Il a découvert l’amour. Pas le Bon et le Mal, non, ça c’est impossible pour une machine. Mais il a découvert l’amour.



La tendresse de cette morale est à l’image de ce conte à la douceur et au lyrisme envoûtants. Une fois de plus, Tim Burton a fait confiance à Danny Elfman pour la musique qui vient accompagner cet ensemble tout en légèreté. Même dans les moments les plus intenses, la musique est tendre, et ce sont des enfants (dont les voix sont un symbole d’innocence et d’ignorance) qui accompagnent le tout.

J’ai déjà entendu à de nombreuses reprises les défauts que les cyniques lui trouvent. J’y reste pourtant aveugle.